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Gazette-de-Fribourg / FG

Le Schoenberg est longtemps resté un «hameau» mais il avait son hôtel

Dernière mise à jour : il y a 6 jours

Avant de devenir le «Bershow», le quartier de loin le plus peuplé de la ville de Fribourg – littéralement «belle montagne» – était en pleine campagne jusque dans les années 1920 où, après l’inauguration du pont de Zaehringen en 1923, les premières maisons familiales sont construites. Depuis 1836, pourtant, un hôtel avec maison de cure était implanté au Schoenberg: le Bellevue a cédé sa place en 1962 à un lotissement moderne. Retour sur ce pan méconnu de l’histoire du quartier grâce à Christoph Allenspach et Aloys Lauper. «Le Schoenberg, de loin le plus grand quartier de la ville et de taille similaire à Guin et Villars-sur-Glâne par exemple, s’est construit pour l’essentiel à un rythme effréné entre 1955 et 1975», rappelle Christoph Allenspach, dans le dernier éditorial du Journal de l’association de quartier. Le président de Vivre au Schoenberg est également historien spécialisé en architecture. Dans un précédent numéro, il a ainsi raconté, dans un article cosigné avec Aloys Lauper, lui aussi historien, l'épisode du Bellevue: «de l’hôtel-restaurant populaire au lotissement moderne».

Tout commence en 1834 avec l’inauguration du Grand Pont Suspendu «dans une ambiance de liesse frénétique, de discours solennels et de fanfare entraînante». Cette merveille technique – à l’époque le plus long pont d’une seule portée au monde – reliait directement le quartier du Bourg au versant opposé de la vallée de la Sarine: «le Schönenberg», comme on l’appelait encore à l’époque. «Ce nouvel ouvrage facilitait considérablement l’accès à la ville pour le transport des marchandises et pour la population rurale du district de la Singine, si elle pouvait se permettre de payer le droit de passage prélevé sur le pont, rappellent Christoph Allenspach et Aloys Lauper. Auparavant, les charges devaient être transportées péniblement par les ponts de la ville basse et les ruelles escarpées du Stalden et de la Grand-Fontaine.» Le brasseur Ignace Buchs construit l'Hôtel Bellevue sur le Stadtberg en 1836 Voilà le contexte posé. Précisons encore qu’une nouvelle route plus confortable est construite alors pour relier le pont suspendu au Stadtberg et aux embranchements des actuelles routes de Tavel et de Berne, près de la chapelle Saint-Barthélemy. Un homme d’affaires ingénieux, un dénommé Ignace Buchs, exploitant d’une brasserie à la Planche-Supérieure 12 avec son frère Joseph ainsi que de l’Auberge du Sauvage voisine, songe donc à profiter d’une nouvelle mode: la découverte romantique de la nature qui se répandait dans les milieux aisés des villes européennes. «En 1833, il avait déjà ouvert l’auberge du Pont-Suspendu sur le côté nord du pont, écrivent les deux coauteurs dans leur article. En 1836, il construisit sur le Stadtberg un hôtel et une maison de cure qu’il nomma Bellevue dans le meilleur style publicitaire.» A l’époque, le versant du «Schönenberg» est boisé et les premières villas du Kybourg ne seront construites que bien plus tard, vers 1900.


Hôtel Bellevue, tiré d’un plan de la ville de 1908, avec à sa gauche la pension Marie-Thérèse devenue école de la Villa Thérèse. 

L’établissement, un simple bâtiment carré au toit à la Mansart, se trouvait au-dessus de la route, en face des actuels jardins familiaux du Pfaffengarten. Pour offrir à ses clients un peu du luxe de la classe supérieure. Ignace Buchs aménage ainsi un grand jardin à la française à côté du bâtiment, imitant ainsi les domaines de l’aristocratie. Tous les citadins «ordinaires» étaient les bienvenus, ainsi que les voyageurs qui voulaient et avaient les moyens de s’offrir quelques heures ou quelques jours à la campagne, en dehors de la ville.

 

 «Fribourg est la ville la plus pittoresque de Suisse» John Ruskin, écrivain, poète et peintre anglais (1819-1900)

 

 

Il faut bien se rendre à l’évidence: à l’époque, les remparts médiévaux entouraient encore toute la ville de Fribourg et ses ruelles étroites. Seules des fermes et, de temps en temps, une maison de campagne patricienne se trouvaient devant les portes. Par conséquent, les citadins pouvaient flâner sur le pont suspendu et traverser un paysage intact jusqu’à Bellevue, d’où ils pouvaient admirer la vue sur Fribourg et son environnement paysager. «La ville la plus pittoresque de Suisse», à en croire l’écrivain anglais John Ruskin (image ci-contre), qui a séjourné à plusieurs reprises entre 1854 et 1856 au Bellevue, d’où il a pris de nombreuses photos (daguerréotypes).

 

Des ventes de vélos y sont organisées en parallèle aux fêtes champêtres et autres concerts

 

En consultant les archives du quotidien «La Liberté» (qui n’existait pas encore à l’époque de l’ouverture de l’établissement puisqu’il a été fondé en 1871), on découvre que l’Hôtel Bellevue a par la suite connu de bons et de moins bons moments, souvent changé de propriétaire et dû affronter également la concurrence de l’hôtel du cure du Schoenberg au début du 20e siècle. Le 27 juillet 1908, comme en témoigne une annonce parue dans «La Liberté», la propriété – qui comprend notamment une salle de danse, une grange, une écurie et des étables à porcs – est mise en vente aux enchères. Par la suite, un certain Jules Barbey en sera le tenancier avant de reprendre, en 1925, l’Hôtel de l’Autruche à la rue de Lausanne.

 

Avec le trafic automobile et le début de l’urbanisation des environs, l’attractivité du Bellevue souffre de plus en plus et, dans les années 1940, des ventes de vélos y sont organisées en parallèle aux fêtes champêtres et autres concerts. Pour la population de la ville, il reste toutefois un lieu apprécié jusqu’à sa fin abrupte. Un journaliste du «Fribourg Illustré» le décrit ainsi au moment de sa disparition: «Certaines gens de Fribourg, j’en suis sûr, auront vu disparaître avec nostalgie peut-être l’ancien Hôtel Bellevue de leur jeunesse. Car le Bellevue avait une histoire, celle du temps où on se promenait encore à pied et où l’on aimait se reposer à l’ombre des arbres soigneusement taillés. Certains dimanches, il était le centre d’une plus grande animation. Quelques fêtes champêtres ou kermesses s’y déroulaient dans son jardin ombragé. (...) Tout était simple, sans le confort d’aujourd’hui, et le promeneur solitaire avait la joie de contempler la vallée profonde où somnole la Sarine, les silhouettes à contre-jour de notre Cathédrale, des maisons de la rue des Chanoines, de la rue de Morat jusqu’au romantique Palatinat.»


Louis Bulliard est à l'origine du plus grand quartier de la ville dans les années 1960


En 1961, alors qu’il règne à Fribourg une atmosphère de renouveau économique mais que la crise du logement est aiguë, l’entrepreneur Louis Bulliard rachète le Bellevue, quelques fermes voisines et de plus grandes parcelles. Les terres agricoles du Schoenberg offraient en effet les terrains à bâtir nécessaires. Ayant du nez, Louis Bulliard déclenche le boom frénétique de la construction qui, en à peine 15 ans, fait sortir de terre le plus grand quartier de la ville. Sur la colline, il planifie avec l’architecte renommé William Dunkel, professeur à l’EPF de Zurich, la Cité Schoenberg-du-Milieu (Henri-Dunant/Joseph-Chaley) pour les exigences d’un standing élevé, et au pied, avec l’architecte fribourgeois Georges Schaller, la Cité Bellevue pour des logements à loyer modéré. Sept bâtiments y étaient initialement prévus, comme le montre une photo de la maquette, cinq immeubles d’habitation avec 150 appartements de 3,5 et 4,5 pièces pour la plupart, un hôtel de 13 étages pour 100 lits et un restaurant panoramique ainsi qu’un centre commercial.


Vue aérienne de la Cité Bellevue, dans le quartier du Schoenberg, avec ses sept immeubles d’habitation. © Alain Kilar

«La procédure d’autorisation n’a posé aucun problème, relate l’article de Christoph Allenspach et Aloys Lauper. Quatre mois après l’acquisition du terrain, Louis Bulliard a ouvert le chantier. La Cité Bellevue devenait le premier lotissement du Schoenberg avec des toits plats incarnant la modernité. Les premiers locataires ont pu emménager le 1er septembre 1962 avec des loyers mensuels compris entre 150 et 260 francs. Le bâtiment commercial, initialement loué par Coop Bellevue, n’a ouvert qu’en 1972, après qu’un autre maître d’ouvrage ait pris le relais. Le projet d’hôtel a dû être abandonné pour des raisons financières. L’environnement vert des immeubles d’habitation, tant vanté dans la publicité pour la location, est également assez pauvre et a été en partie asphalté pour les places de stationnement.»


L'association Vivre au Schoenberg sonde la population sur l'évolution du quartier


Soixante ans plus tard, un nouveau développement s'est amorcé, qui pourrait fortement modifier le quartier. «Des maisons vieillissantes sont rénovées et des logements locatifs bon marché disparaissent. On construit entre les bâtiments et les espaces extérieurs verdoyants disparaissent. Une centralité renforcée doit être créée autour de l'actuel parking de la Heitera, ce qui pourrait

revaloriser considérablement le quartier», écrit ainsi Christoph Allenspach dans son dernier éditorial. L'association Vivre au Schoenberg suit cette évolution d'un œil critique et est en train de sonder la population à ce propos. « Pour le quartier et ses habitantes et habitants, un parc attrayant serait le bienvenu, comme jadis pour l’Hôtel Bellevue», conclut son président.

2 Comments

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Guest
il y a 4 jours
Rated 5 out of 5 stars.

J'ai beaucoup apprécié cette page de l'histoire de cet hôtel Bellevue.

possédant 2 cartes postales du début du siècle, cela m'a permis de localiser cet hôtel

Merci pour toutes les nombreuses informations

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Guest
il y a 6 jours
Rated 5 out of 5 stars.

Merci Francis pour cette belle tranche d'Histoire!

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